Fernand Deroussen est audio naturaliste, il nous raconte dans cet entretien son métier peu connu et nous livre sa passion pour les oiseaux, la nature en général et la Camargue.

Pourrais tu nous dire qu’elles sont les origines de ta passion ?

En fait, je suis autodidacte, j’ai toujours eu le goût de la nature, même si je suis né à Paris, Parisien pure souche. Peu importe, la nature était en moi. J’ai essayé le dessin … pas très doué, j’ai essayé la photographie, mais le fait qu’il y ai plein de gens qui se mettent à la photo ne m’a jamais trop inspiré. Et puis j’ai découvert dans les années 80 par le biais d’un ami, François Charon, la prise de son pour enregistrer les oiseaux et ça a commencé comme ça.

Ensuite je me laisse prendre au jeu, je commence à constituer une sonothèque, j’accumule les espèces, les milieux naturels.

Puis en 1992, suite à l’ouverture des magasins nature et découverte, il y a eu des demandes pour la réalisation de leur propres collection. J’ai envoyé un premier CD qui a été retenu, ils m’ont ensuite confié la réalisation de tous les CD ce qui m’a permis de devenir professionnel.

J’avais une autre activité de paysagiste à côté, j’ai mené ces deux activités en parallèle durant 5 ans. En 1997, devant le nombre de CD vendus et le travail que cela demandait, je me suis mis à temps plein sur l’activité d’audio naturaliste qui est encore la mienne aujourd’hui.

Qu’est ce qu’un Audio-naturaliste ?

Je travaille sur l’art des sons de la nature. C’est la beauté des sons de la nature, des paysages, les espaces sonores qui m’importe le plus. Si j’avais travaillé sur la science des sons de la nature, je serai bio acousticien. Le bio acousticien travaille sur la science des sons de la nature, l’audio naturaliste travaille sur l’art des sons de la nature. C’est complémentaire parce que en tant qu’audio naturaliste j’ai besoin de la rigueur du bio acousticien pour connaître les espèces animales.

Mon métier ne s’arrête pas à la prise de sons, c’est avant tout la connaissance du monde sauvage car un son qui n’est pas déterminé n’est pas ce que je recherche. Un son brut est très intéressant pour les gens qui font de l’enregistrement direct ou de l’électro acoustique, pour eux c’est la matière sonore qui importe dans son intégralité et quelle que soit son origine, animale, végétale, électronique… ça peut-être un escalier mécanique, une voiture, n’importe quoi qui fait du bruit.

Ce qui m’intéresse, ce sont les animaux, les interactions animales qu’il y a dans le paysage, mais d’un point de vue artistique. C’est le message que je peux transmettre grâce au son et la connaissance que je peux offrir au public.

Quelle est la part de la composition dans ton travail ?

Pour faire des compositions, que ce soient des CD, des conférences ou autre, je suis obligé de faire des résumés, parce que dans la nature des temps très longs peuvent se passer avant d’avoir des sons intéressants. Il me faut donc pour composer mes créations – qui durent entre 6 et 12 minutes – compiler tout ça. Je fais du mixage de mes sources sonores pour créer une composition originale artistique. Mais je me refuse à changer la vitesse, la texture même du son, pour moi il est très important que ce qu’entend l’auditeur reste la réalité des choses même si elle est concentrée.

Il s’agit de paysages sonores en quelque sorte ?

Voilà, je recompose en fait des paysages et des instants sonores grâce à tout ce que j’ai enregistré sur le terrain, mais avec la réalité de l’espèce qui chante, du paysage que j’entend…

l’important c’est de garder le signal tel qu’il a existé à l’origine. Il faut bien se dire que tous ces signaux sonores émis par la faune, la flore, le vent… c’est le langage universel, c’est à dire que c’est le premier langage qui apparaît dans le monde, il a plus de 300 millions d’années. Ce n’est pas un langage qui se parle, mais c’est un langage qui s’écoute. Tous les anciens, et c’était encore vrai il y a un siècle de cela, pouvaient déterminer l’heure de la journée en entendant le chant d’un oiseau. En entendant d’où venait le vent ils savaient quelle météo il allait y’avoir. On avait des notions par le biais de l’écoute qui ont aujourd’hui disparues. Actuellement, tout le monde se fiche des sons de la nature a un point qui me désespère. J’admet que ce n’est pas facile.

Pour réaliser toutes ces collections tu as du beaucoup voyager ?

Oui, j’ai parcouru le monde, je suis allé au Spitzberg, Québec, Cameroun, Cambodge, en Asie, en Australie, en Nouvelle-Zélande, enfin un peu partout où il y’avait un intérêt pour aller faire une moisson, une collecte sonore importante et surtout originale. Dans le but de faire découvrir au public toutes ces beautés de la planète.

As tu parfois le sentiment de capter pour la dernière fois le témoignage de l’existence de certains animaux en voie de disparition ?

Oui, c’est un constat général. Les milieux évoluent à une vitesse incroyable, on sent disparaître pas mal d’espèces, notamment les insectivores, ici en France, les pies-grièches, les loriots, par exemple, tous ces oiseaux dont les populations ont considérablement baissées depuis 10 ans.

On en connaît bien les causes : les produits phyto-sanitaires, le remembrement avec la disparition des haies , le développement des ville et des zones industrielles, et puis la pression de l’homme partout. Parallèlement des espèces sont apparues, souvent introduites : perruches à collier, bernaches du Canada…

Certaines aussi se sont développées tels les hérons cendrés qui sont à nouveau abondant et qui s’adaptent aux milieux urbains par exemple.

Pour moi, c’est de ces espèces que tout repartira, je ne sais pas si l’humanité est appelée à disparaître dans très longtemps, mais si un jour nous disparaissons, tout redémarrera de ces espèces invasives ou colonisatrices ou adaptées. Et dans des millions d’années, la terre sera à nouveau peuplée des milliers d’espèces engendrées par ces animaux là. Mais en attendant, nous sommes tout de même dans la 6éme grande extinction généralisée. Un phénomène qui a démarré notamment depuis la colonisation du monde par l’homme dit civilisé.

Que représente la Camargue pour toi ?

C’est un lieu où j’aime me ressourcer, j’adore la Camargue parce qu’on peut encore y trouver des endroits ou passer une nuit tout seul. Là, dernièrement, j’étais sur la digue à la mer, j’ai passé deux nuits fabuleuses, il faisait vraiment pas chaud, 5°C , il y avait une rumeur de flamants tout autour, et je suis resté des heures à écouter, à m’imprégner de cette sauvagerie. La Camargue permet encore ça, il y a certains endroits ou l’on se croirait seul au monde.

Au niveau de la prise de sons, ce qui est gênant en Camargue, c’est le mistral entre 250 et 300 jours par an. Quand il n’y a pas le mistral, il y a le bruit des routes: nous sommes sur une zone complètement plate et on entend une voiture qui passe à 3 km. Mais il y a toujours quelque chose qui se passe : des rainettes qui chantent, des cochevis, des hérons par-ci-par-là, les flamants, sur la côte, les sternes et cela quelque soit la saison. La camargue est indispensable, j’y vais deux, trois fois par an.

As tu un lieu privilégié en Camargue ?

Mon coin préféré est la petite route qui va de la Capelière à la digue à la mer où se succèdent tous les milieux: On longe le Vaccarès, on traverse des zones de roselières, de sansouïres, puis on rejoint la digue à la mer avec ses lagunes pour terminer sur les dunes et la plage méditerranéenne.

Quelles évolutions pour la Camargue depuis que tu la connais?

L’évolution, c’est surtout la baisse des moustiques. Je me rappelle qu’il y a quelques années, vers 1980, c’était des brouillards de moustique notamment au mois de mai. On avait du mal à circuler, les phares n’arrivaient pas à les transpercer.

Le fond sonore de rainettes et de grenouilles à également considérablement diminué. Il n’y a plus que quelques spots alors que dans les années 80, c’était une rumeur qui montait de toute la Camargue la nuit.

Il n’y a plus ces grands levers du jours où ça chantait de partout, les cochevis, les alouettes, les fauvettes. Même dans les roselières, il faut se bouger pour arriver à trouver une Lusciniole à moustache. (NDLR : fauvette des roseaux caractéristique de la zone méditerranéenne). Il y a une diminution, tout est plus sporadique et souvent inaccessible.

Pour moi la Camargue que ce soit dans le Gard, entre les bras du Rhône ou au plan du bourg demeure pourtant un paradis.

pour en savoir plus : le site de Fernand Deroussen : https://naturophonia.jimdo.com
pour écouter une composition de Fernand Deroussen : Matin d’avril en Camargue https://naturophonia.bandcamp.com/track/matin-d-avril-en-camargue

Mise à jour 16 mai 2019 : Fernand Deroussen a mis en ligne un safari sonore sur la Camargue : 45 minutes de balade sonore commentée à écouter d’urgence 🙂